domaine de frévent

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vendredi 23 octobre 2015

Prom'nons-nous dans les bois...


La forêt, univers qui fait peur à beaucoup. Même aujourd’hui où l’homme est pourtant moins entouré de superstition qu’autrefois et où les « robins des bois » sont plus dans les ‘cités’ que dans la nature. 
Mais on se sent toujours dominé par ces grands végétaux et à la merci de ce qu’ils peuvent cacher derrière eux… le meilleur comme le pire.
 
Certains citadins ont le sentiment d’être épié quand ils se promènent en forêt. Moi, je sais qu’il n’y a personne, ou plutôt du monde vivant, mais pas de genre humain. J’ai ainsi exclu le pire de mes probables rencontres dans ce milieu, et c’est pour cela que j’arrive à y vivre avec bonheur. Petite démonstration pour démystifier cet environnement.
 
Chaussures de randonnée au pied et bâton à la main, je m’aventure de bon matin sur un chemin forestier qui part du domaine de Frévent. Au bout du chemin une lueur vient se fondre dans la brume matinale. L’herbe bien grasse, couverture de cette allée sans visage, laisse par la rosé une trace de mon passage défricheur. L’envie de découvrir ce qui se cache au-delà de ma vision, guide mes pas.


Chemin faisant, un petit rouquin m’apparaît. Furtive traversée du layon, puis accroche verticale le long du tronc séculaire qui se présente devant lui. L’emblème de Nicolas Fouquet n’a pas été choisi au hasard. L’agile petit écureuil peut s’accrocher avec aisance au roi de la forêt pour prendre de la hauteur. Prend bien garde de ne pas tomber toi qui grimpe si haut, si vite. Ta chute sera fatale.
 
Quelques formes généreuses et colorées attirent mon attention en sous-bois. Il s’agit de champignons dodus soulevant la carapace de feuilles mortes qui les recouvrent. Ils entament à découvert, une rapide évolution qui sera prochainement interceptée par un ramasseur de passage. Ce ne sera pas moi. Ce matin j’ai envie d’autre chose.


J’arrive dans une partie moins obscure et surtout plus jeune de la forêt. La population végétative est dense mais sous une couverture foliaire clairsemée. C’est visiblement le territoire des « bois blancs » qui à cette date, ont déjà perdu leur feuilles. Je distingue au milieu de ces frêles écorces une masse pierreuse bien délimitée. De toute évidence, des hommes ont bâti ici et y ont vécu jadis. Les murs de cette ruine sont constitués de grès taillés aux angles. Cela ressemble fortement au mode de construction des bâtiments de Frévent. Comme bien souvent, il y a une marre à proximité qui devait servir de point d’eau pour les animaux.
 
L’endroit apparaît comme particulièrement austère aujourd’hui, mais mon imagination me permet d’échafauder ici, une scène de la vie d’autrefois.

Le soleil arrose généreusement l’ensemble du lieu. Des prairies verdoyantes supplantent les arbres d’aujourd’hui. Des poules, des oies, des canards donnent vie à un théâtre naturel. Une femme en sabot de bois balance du blé pour ces volailles. Des cochons pataugent dans leurs bauges pour se débarrasser de leurs parasites. Les enfants habillés de loques, s’amusent dans un tombereau de paille fraîche destiné à la litière des vaches. Les hommes s’activent dans l’étable, fourches et pelles à la main, pour prendre soin des animaux domestiques qui assurent leur subsistance.
  
L'ambiance extérieure est froide, humide, boueuse peut-être… mais calme et sereine.
 
Dans la maison, le feu est allumé sous un marmiton accroché à la crémaillère de la cheminée. J' aperçois l’empreinte au mur de l’âtre. Une croûte se forme doucement sur le dessus du mijoté, dont l’odeur se joint à la fumée de bois pour inonder la pièce. Les arbres ont depuis, traversé le sol de cette maison qui devait être en terre battue. 

Après cette découverte, j’avance sur la trace d’un ancien chemin abandonné, jonché de troncs morts et de ronciers. Je devine encore le relief atténué des fossés de chaque côté. C’est là que je découvre l’inattendu. Une borne en grès marquée du chiffre ‘5’. Cette route devait être pratiquée autrefois au point qu’on l’ait jalonnée par une mesure de distance.(peut-être métrique)


Je continue mon chemin. Derrière le murmure des feuilles dans le vent, des cris stridents viennent agresser le tympan de mes oreilles. Il s’agit d’un busard qui plane au-dessus de moi, en attendant sa chute finale sur la proie observée depuis si longtemps. J’ai bien du mal à le suivre des yeux avec le branchage qui me gêne. Je le laisse dans sa chasse et lui souhaite bonne chance pour son repas.
 
J’aurais aimé surprendre quelques chevreuils pendant cette petite escapade. Ceux-ci sortent de leur cachette protectrice qu’au lever et au coucher du soleil. Là, ils prennent des risques et se montrent en terrain découvert pour trouver leur alimentation. Mais l’heure est devenue trop tardive, et ils ont du regagner leur cachette.
 
Je ne suis pas déçu car mon besoin de découverte de ce matin a été servi. Alors je rentre. Je vais regarder les quelques photos que j’ai pu prendre. Je n’ai pas vu un seul être humain de toute cette promenade. Le seul danger que l’on coure ici, ne peut venir que de nous-même.

Exit les bandits de grand chemin qui vivaient ici en attaquant les calèches de passage.
Exit aussi, et à regret, les druides, les sorcières et leurs sortilèges. 
Exit les fées, les nains, les elfes qui ont marqué l’imaginaire de certain au point de vouloir les rencontrer là où on ne voit rien. 
Exit le diable s’il pouvait en effrayer certains. 
Exit enfin le chasseur mal habile qui tire sur tout ce qui bouge sans distinguer le gibier d’un promeneur.

La sécurité chers amis...elle est ici !
Prom'nons-nous dans les bois. Pendant que le loup n'y est pas, si le loup y était...


Hervé

mardi 6 octobre 2015

La femme de ménage



D’un pas énergique et en tenue décontractée, la petite femme arrive par l’allée tenant dans une main un panier et dans l’autre un paquet de draps propres. Le gîte vient de se libérer, la porte est restée ouverte. Elle le connaît par cœur ce logement pour l’avoir nettoyé de fond en comble une quarantaine de fois cette année. Elle passe le seuil d’entrée, se déchausse et jette un œil observateur dans la pièce à vivre pour une première estimation des tâches à venir.


Ce matin, ce ne sera pas une mince affaire, des miettes de pain sont présentes sur la table. Cette indication lui en dit long sur l’état de propreté générale de l’appartement. Elle se jette sur la nappe qu’elle met en boule et qu’elle secoue vigoureusement dehors avant de la mettre au sale. Puis elle ouvre le frigo, le four, le lave-vaisselle… encore chaud et non débarrassé. Elle va devoir passer beaucoup de temps dans cette pièce mais ce sera pour plus tard. Son travail commence par les chambres de l’étage. Elle reprend son panier garnis de petits produits miracle, et l’aspirateur qu’elle va devoir monter par l’escalier en bois.

Les bras fléchis vers l’avant pour porter son fardeau en élévation, elle avance lentement sur des marches qui grincent sous son passage. Arrivée en haut elle reprend son souffle, le cœur tape fort dans sa poitrine. Elle pose sa charge pour se diriger vers les fenêtres qu’elle ouvre généreusement. L’étage est ventilé. Draps et taies d’oreiller se détachent de la literie. Un ballet de fantôme blanc s’agite dans chacune des chambres, pour finir en chute libre dans la cage d’escalier. Cette envolée de textile souffle les poussières sur leur passage qui se retrouveront ensuite emportées par les courants d’air. Très vite c’est une montagne de linge sale qui s’accumule sur les premières marches.

Puis vient le tour des serviettes de bains et linge de toilette. S’abaissant pour en saisir certaines, elle s’aperçoit qu’une nappe d’eau s’est déposée sous le lavabo. « Hervé, Hervé, vient vite, il y a une fuite dans la salle de bain ». Mais Hervé n’est pas là où il n’entend pas, où il n’a pas envie… Il n’est pas toujours derrière la femme de ménage, il a ses occupations. Alors il reçoit un message sur son portable: « Hervé est demandé de toute urgence, gîte 307 à l’étage ». Impossible d’ignorer la demande de cette personne en détresse. Alors j’accoure, j’escalade l’amoncellement de linge, gravi les marches une à une pour secourir la belle qui se découvre debout devant moi, nus pieds pataugeant sur le carrelage. Je suis bien accueilli : « C’est là que ça se passe, ça coule par terre quand j’ouvre le robinet ».

Bon, alors je regarde, j’examine pourquoi, comment…Ouf, ce n’est pas bien grave. Juste un siphon en plastique déboîté. Vite détecté, vite réparé, je m’en sors bien cette fois, quand une petite demande arrive à mes frêles oreilles. « Tu peux me ramener les draps sales à la laverie s’il te plaît ? » Mais bien sûr, avec plaisir ! C’est ainsi qu’Hervé ressort du gîte, chargé comme un mulet à faire plusieurs trajets.

Heureuse de s’être débarrassée de cette charge encombrante, la femme de ménage reprend son aspirateur et le met en marche. A partir de cet instant et par le ronronnement de l’appareil, elle s’isole du monde pour ne se concentrer que sur les passages de sa brosse, qu’elle pose de temps en temps pour déplacer des meubles. Elle tire avec peine son traîneau par le tuyau souple, son dos se courbe vers le sol, ses bras se lèvent pour faire les recoins de lucarne et les plafonds mansardés.

Très vite, son esprit divague dans des préoccupations qui alimentent son quotidien. Les enfants, le mari, la famille, les vacances, la politique… l’argent. C’est quand elle pense aux impôts, tous les impôts qu’elle va devoir payer à cause de ce travail qu’elle accomplit, que la cadence augmente. Les gestes se font soudain plus énergiques, la brosse cogne dans les plaintes et les portes, son dos se plie plus bas, les fauteuils et les lits à déplacer deviennent plus légers, rien se semble pouvoir arrêter cette machine à nettoyer qui délivre là sa toute puissance. Elle commence à transpirer et ses cheveux se détachent pour venir masquer sa vision. Elle tente de les écarter en soufflant dessus, mais ils reviennent devant ses yeux, alors elle souffle à nouveau, passe sa main sur son visage et ainsi de suite… Maudits impôts, injustice, voleurs, fonctionnaires, migrants... tout y passe, elle crache par terre ! (non ça c’est mon imagination)

Alors, avec la même fougue elle enchaîne, nettoyage des vitres, des glaces, certaines poignées de porte… Le rythme s’accélère par l’enthousiasme… Et c’est très productif, en une demi-heure l’étage est pratiquement terminé. Ah ! Les injustices, quelle belle source d’énergie que voilà !

Pour se rafraîchir, elle entre dans la douche et se met à nettoyer faïences et robinetteries. Les impôts s’éloignent et le calme revient. L’éponge qu’elle tient dans sa petite main caresse langoureusement le lavabo où il ne restera aucune trace de calcaire, c’est sûr. Elle se penche ensuite sur le cabinet qu’elle désinfecte avec autant de soin et de délicatesse. Une bonne odeur parfumée remplit l’atmosphère des lieux, mais ce n’est pas terminé…

Elle doit à présent refaire les lits. Les draps propres et les couvertures sont soigneusement étalés sur les matelas. Le tout est bordé ‘au carré’, comme à l’armée où elle n’est jamais allée. Quelqu’un lui a montré l’exemple et elle a été séduite par la rigueur du travail, qu’elle reproduit maintenant avec application. Là encore, le dos souffre et les douleurs s’amplifient à chaque lit. Avant de les remettre en place, elle va passer la serpillière sur tout le parquet de l’étage. Eh oui, elle lave le parquet ! Cela fait six ans qu’elle nettoie le sol ainsi, et le résultat est plutôt satisfaisant. La surface du bois brille et par le produit utilisé, il dégage une belle odeur de fraîcheur. D’ailleurs, elle lessive l’escalier de la même façon.

Fière du résultat obtenu, elle attaque le rez-de-chaussée avec le même entrain. Ne souhaitant pas retomber dans des pensés fiscalistes, elle allume la télévision sur une chaine de clips pour avoir un peu de musique en tête. L’aspirateur en marche, elle monte le son et swing en aspirant le sol. Ici en supprimant la brosse sur le tapis, là avec l’embout étroit pour les coins de cheminée. Elle chantonne…

Un des chiens du propriétaire attiré par cette agitation décide de montrer son nez à la porte d’entrée restée grande ouverte. De son regard canin, la tête légèrement inclinée sur le côté, il aperçoit ‘peau d’âne’ faisant le ménage aidée de la baguette magique de sa marraine. Il veut poser sa truffe sur les poils de cet animal qui déambule devant lui, et entre avec ses grosses pattes sales de chien de chasse dans le salon. Il imprime des traces de pas sur le parquet et dépose sa délicate odeur sauvage (pas celle de Christian Dior) sur les fauteuils qu’il frôle lentement en remuant la queue. Des hurlements se font entendre !!!

« Hervé est demandé de toute urgence, gîte 307 au rez-de-chaussée » J’accours, et emporte mon chien effrayé loin d’ici, lui expliquant calmement qu’il ne pouvait s’agir de ‘peau d’âne’ !

La femme de ménage est suffisamment remontée à présent pour finir le gîte avec entrain. Alors, toujours en musique, elle continue en rangeant la vaisselle qu’elle vérifie en nombre, en état de propreté et en emplacement dans les placards. Un petit coup sur les carreaux et elle nettoie four et frigo pour finir par un passage de serpillière sur le sol. Le gîte brille de mille feux mais ça sent le chien…ou l’âne, je ne sais plus ! Alors elle pulvérise un peu de parfum d’ambiance avant de refermer la porte.

Son travail n’est certes pas un métier de passion, mais elle reste au fond d’elle, animée par l’amour du travail bien fait. Et il est bien fait son travail, tellement bien fait que peu d’entre nous pourrait en faire autant. Tout est à présent terminé et prêt à accueillir les nouveaux occupants, qui seront sensés rendre le gîte dans le même état.

C’est rarement le cas, et son expérience lui indique qu’elle peut se préparer à recommencer la semaine prochaine.


Hervé